Mon trésor
Mes doigts s’enfoncent lentement dans les touches comme pour apprécier dans tout son souffle chaque son qui sort. Et le bois laqué se met à susurrer des notes. Quelle magie.
Mes doigts déambulent pour trouver au hasard une mélodie.
Ils essaient de composer la chanson que ma tête voudrait entendre. Et mon piano pendant ces minutes longues devient mon amant tendre.
Il se laisse apprivoiser, il m’offre le plaisir que je cherche dans ses entrailles. Un peu de sérénité. Une série de tâtonnements hésitants, et les arpèges attendus tombent enfin et satisfont mes oreilles comme des pièces de puzzle qui s’emboîtent parfaitement. Il faut croire que la musique se construit pour s’accorder au corps.
Mes doigts s’amusent à galoper avec frénésie, mes doigts courent d’une octave à l’autre. Il est mien, il chante pour moi. Il s’appelle Piano et il ne me quitte pas. Fidèle à lui-même il dit Do là où il faut, il dit Ré et Mi et Fa partout où l’on s’y attend. Il ne se trompe pas, il ne me trompe pas.
Il n’y a plus rien qui compte autour. Ou alors justement tout compte encore plus. Tout résonne dans le ventre de mon instrument compagnon. Si j’ai mal, il pleure pour moi, et les bémols sont là pour faire écho à mes émotions. Et quand j’ai rire, quand j’ai bien, quand j’ai chaud, les accords parfaits éclatent pour immerger ma maison.
Il parle à ma place mon piano. Il parle aux autres. Je les laisse écouter parce qu’au fond ils ne sauront jamais. Je fais passer ça sous le coup de la musique, et alors mes monologues existentiels n’apparaissent plus comme tels.
Mon Piano, mon trésor.
Il m’a vu arriver avec mes doigts marteaux. Mes mains de petite fille qui voyait tout en grand, en fort. Trop fort même. Mal aux oreilles.
Mais maman dit que j’ai des mains de pianiste. Je continue de frapper les touches, j’ai l’alibi d’artiste.