La troisième personne
Papa me dit que je n’arrive pas écrire à la troisième personne.
Il paraît que c’est celle qui pourrait être là mais qui n’est pas moi. Pourquoi devrais- je lui parler alors si je ne la connais pas. Faut-il l’inventer ?
Il faudrait commencer par Elle, ou bien Il. Ça, facile.
Mais d’autres prétendent qu’il faut que je raconte sa vie. Et pas la mienne. Que je suis sensée connaître ses humeurs. Qui ne sont pas mes humeurs. Quelle bizarrerie : Et moi, je m’écris quand dans ce totalitarisme romanesque ?
Je ne l’ai jamais trop aimé cette troisième personne. Elle ne se laisse pas apprivoiser. J’ai tenté maintes fois de la mettre dans mes histoires. Je lui ai trouvé des aventures nouvelles. Des aventures que moi-même je n’avais pas la chance de connaître. Mais quelle ingrate, elle ne continue pas. Elle me laisse reprendre le devant de la scène toute seule. Alors je suis obligée de parler de moi. Pour combler le vide.
Ou peut-être que c’est moi qui ne veut pas qu’elle continue. Parce qu’au fond je ne voudrais pas lui faire vivre ce que moi je n’ai pas vécu.
Chacun pour soi, elle a qu’à s’écrire à la première personne elle-même. Moi d’abord, je ne suis la troisième personne de personne. Je suis obligée de me raconter toute seule. On n’imagine rien pour moi.
Alors oui c’est vrai, je n’écris jamais à la troisième personne. Ou bien pour de faux.
Je la laisse être sujet de mes phrases mais pas de mes textes. Je lui fais vivre tous mes chagrins d’amour. Désolé ma belle. Fallait pas être ma troisième personne. Celle qui est là, et qui sera toujours un peu moi.